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Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/83

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tion (française) près du lac Léman, d’où il avait été chassé, disait-il, par une inondation qui avait envahi sa chambre, et par l’entêtement du médecin qui avait refusé de lui administrer la douche la plus dure, la plus froide, celle qu’on n’administre qu’aux forts, la « douche de Charcot ! » Et il menaçait déjà le médecin de Champel de s’en aller s’il ne consentait pas à lui donner la dite terrible douche. Son excitation était extrême, et il se refusait à tout traitement sédatif, ne recherchant que des excitations nouvelles. Dès les premières paroles, j’avais deviné quel était ce mal - mental ! - dont m’avait parlé le docteur Cazalis. Si je ne suis pas entré dans le détail de son état d’esprit, en racontant ces souvenirs, c’est qu’il valait mieux les laisser dans l’ombre. Il était fou déjà : folie de l’exagération en toutes choses et délire des grandeurs. Par exemple : « Voyez », nous disait-il, à ma femme et à moi, « voyez ce parapluie ! Il ne se trouve qu’à un seul endroit, par moi découvert, et j’en ai déjà fait acheter plus de trois cents pareils dans l’entourage de la Princesse Mathilde ! » Ou encore : « Avec cette canne, je me suis défendu un jour contre trois souteneurs par devant et trois chiens enragés par derrière ». - Et tout ce qu’il disait ressemblait à cela. Le lendemain de son arrivée, il me glissait à l’oreille la confidence d’un exploit... amoureux avec une belle Genevoise, en donnant des détails sur ses forces revenues... — Tout cela est triste... Vous comprendrez ainsi qu’il était trop tard pour espérer apprendre de lui, sur lui-même, quelque chose d’intéressant. Il n’eut guère que le moment de lucidité tragique dont je parle, en nous con-