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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/106

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CHRONIQUES

s’écrie, avant de l’avoir encore vue : « La Mer ! »

Puis je revenais devant les aubépines, comme devant ces chefs-d’œuvre dont on croit qu’on saura mieux les voir quand on a cessé un moment de les regarder. Alors, me donnant cette joie que nous éprouvons quand nous voyons de notre peintre préféré une œuvre qui diffère de celle que nous connaissons ou bien si l’on nous mène devant un tableau dont nous n’avions vu jusque-là qu’une esquisse au crayon, si un morceau entendu seulement au piano nous apparaît ensuite revêtu des couleurs de l’orchestre, mon grand-père m’appelant et me désignant la haie d’un parc dont nous longions la lisière, me dit : « Toi qui aimes les aubépines, regarde un peu cette épine rose ! est-elle jolie ! » En effet c’était une épine mais rose, plus belle encore que les blanches. Elle aussi, avait une parure de fête, — de ces seules vraies fêtes que sont les fêtes religieuses, puisqu’un caprice contingent ne les applique pas comme les fêtes mondaines, à un jour quelconque qui ne leur est pas spécialement destiné, qui n’a rien d’essentiellement férié — mais une parure plus riche encore, car les fleurs attachées sur la branche, les unes au-dessus des autres, de manière à ne laisser aucune place qui ne fût décorée, comme des pompons qui enguirlandent une houlette rococo étaient « en couleur », par conséquent d’une qualité supérieure, selon l’esthétique de notre village, si l’on en jugeait par l’échelle des prix dans le « magasin » de la place ou chez l’épicier, où étaient plus chers ceux des biscuits qui étaient roses.

Et justement ces fleurs avaient choisi une de ces teintes de chose mangeable, ou de tendre embellissement à une toilette pour une grande fête, qui, parce qu’elles