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PAYSAGES ET RÉFLEXIONS

leur présentent la raison de leur supériorité sont celles qui semblent belles avec le plus d’évidence aux yeux des enfants, et à cause de cela, gardent toujours pour eux quelque chose de plus vif et de plus naturel que les autres teintes, même lorsqu’ils ont compris qu’elles ne promettaient rien à leur gourmandise et n’avaient pas été choisies par la couturière. Et certes, je l’avais tout de suite senti, comme devant les épines blanches, mais avec plus d’émerveillement, que ce n’était pas facticement, par un artifice de fabrication humaine, qu’était traduite l’intention de festivité dans les fleurs, mais que c’était la nature qui, spontanément, l’avait exprimée avec la naïveté d’une commerçante de village travaillant pour un reposoir en surchargeant l’arbuste de ces rosettes d’un ton trop tendre et d’un pompadour provincial. Au haut des branches, comme autant de ces petits rosiers aux pots cachés dans ces papiers en dentelles dont, aux grandes fêtes, on faisait rayonner sur l’autel les minces fusées, pullulaient mille petits boutons d’une teinte plus pâle qui, en s’entr’ouvrant, laissaient voir, comme au fond d’une coupe de marbre rose, de rouges sanguines, et trahissaient, plus encore que les fleurs, l’essence particulière irrésistible de l’épine, qui, partout où elle bourgeonnait, où elle allait fleurir, ne le pouvait qu’en rose. Intercalé dans la haie mais aussi différent d’elle qu’une jeune fille en robe de fête au milieu de personnes en négligé qui resteront à la maison, tout prêt pour le mois de Marie, dont il semblait faire partie déjà, tel brillait, en souriant dans sa fraîche toilette rose, l’arbuste catholique et délicieux.