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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/109

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RAYON DE SOLEIL SUR LE BALCON

Je viens d’écarter le rideau : sur le balcon, le soleil a étendu ses moelleux coussins. Je ne sortirai pas ; ces rayons ne me promettent aucun bonheur ; pourquoi leur vue m’a-t-elle caressé aussitôt comme une espérance une espérance de rien, une espérance désaffectée de tout objet, et pourtant, à l’état pur, une timide et tendre espérance ?

Quand j’avais douze ans je jouais aux Champs-Élysées avec une fillette que j’aimais, que je n’ai jamais revue, qui s’est mariée, qui est aujourd’hui mère de famille et dont j’ai lu le nom l’autre jour parmi les abonnés du Figaro. Mais comme je ne connaissais pas ses parents, je ne pouvais la voir que là et elle n’y venait pas tous les jours, à cause de cours, de catéchismes, de goûters, de matinées enfantines, de courses avec sa mère, toute une vie inconnue, pleine d’un charme douloureux, parce que c’était