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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/118

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CHRONIQUES

d’après-midi d’hiver, cette merveille inconnue, un matin de printemps.

Sans doute, c’est une des tâches du talent de rendre aux sentiments que la littérature entoure d’une pompe conventionnelle leur tour véridique et naturel ; ce n’est pas une des choses que j’admire le moins dans l’Annonce faite à Marie, de Paul Claudel, — n’est-ce pas à ceux qui s’extasient devant la gloire des tympans de savoir goûter la finesse des quatre feuilles — que les bergers, le soir de Noël, ne disent pas : « Noël, voici le Rédempteur » ; mais : « Kiki, il fait froué » ; et Violaine, quand elle a ressuscité l’enfant : « Quoi qui gnia, mon trésor ». Dans l’œuvre admirable du grand poète Francis Jammes, je trouverais bien d’autres exemples de ce genre. Mais inversement l’office de la littérature peut être, dans d’autres cas, de substituer une expression plus exacte aux manifestations trop obscures que nous donnons nous-mêmes de sentiments qui nous possèdent sans que nous voyions clair en eux. La délicieuse attente où j’étais de Florence, je ne l’exprimais qu’en m’interrompant dix fois de faire ma toilette pour sauter à pieds joints et chanter à tue-tête le Père la Victoire ; mais cette attente n’en ressemblait pas moins à celle de certains croyants qui se savent à la veille d’entrer dans le Paradis.

L’hiver semblait recommencer ; mon père disait qu’il ne faisait guère une température propice au départ. C’était le moment où, les autres années, nous arrivions dans une petite ville de la Beauce pour trouver les violettes bleuissantes et les feux rallumés. Mais cette année-là, le désir des vacances à Florence avait effacé le souvenir des vacances près