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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/130

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CHRONIQUES

mouette arrêtée avec l’immobilité d’un pêcheur à la crête des vagues.

Souvent, quand je passais devant le clocher, au retour de la promenade, en regardant la douce tension, l’inclinaison fervente de ses pentes de pierres qui se rapprochaient en s’élevant comme des mains jointes qui prient, je m’unissais si bien à l’effusion de la flèche, que mon regard semblait s’élancer avec elle ; et en même temps je souriais amicalement aux vieilles pierres usées dont le couchant n’éclairait plus que le faîte et qui, à partir du moment où elles entraient dans cette zone ensoleillée, adoucies par la lumière, paraissaient tout d’un coup montées bien plus haut, lointaines, comme un chant repris « en voix de tête » une octave au-dessus.

L’autre porche qui était de ce côté était complètement recouvert par le lierre, et il fallait pour reconnaître une église dans le bloc de verdure faire un effort qui ne me faisait d’ailleurs serrer que de plus près l’idée d’église (comme il arrive dans une version ou dans un thème où on approfondit d’autant mieux une pensée qu’on la dépouille des formes accoutumées) pour reconnaître que le cintre d’une touffe de lierre était celui d’un vitrail, ou qu’une saillie de verdure était due au relief d’un chapiteau. Mais alors un peu de vent soufflait ; les feuilles déferlaient les unes contre les autres, et, frissonnante, la façade végétale semblait embrasser avec elle les piliers onduleux, caressés et fuyants.

C’était le clocher de notre église qui donnait à toutes les occupations, à toutes les heures, à tous les points de vue de la ville, leur figure, leur couronnement, leur consécration. De ma chambre, je ne pouvais