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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/131

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PAYSAGES ET RÉFLEXIONS

apercevoir que sa base qui avait été recouverte d’ardoises ; mais quand le dimanche, encore couché, par une chaude matinée d’été, je les voyais flamboyer comme un soleil noir, je me disais : « Déjà neuf heures ! il faut se lever vite pour aller à la messe » ; et je savais exactement la couleur qu’avait le soleil sur la place, l’ombre qu’y faisait le store du magasin, la chaleur et la poussière du marché.

Quand après la messe, on entrait dire au suisse d’apporter une brioche plus grosse que d’habitude parce que de nos amis avaient profité du beau temps pour venir déjeuner, on avait devant soi le clocher qui, doré et cuit lui-même comme une plus grande brioche bénie, avec des écailles et des égouttements gommeux de soleil, piquant sa pointe aiguë dans le ciel bleu. Et le soir, quand je rentrais de promenade, il était au contraire si doux, dans la journée finissante, qu’il avait l’air d’être posé et enfoncé comme un coussin de velours brun sur le ciel pâli qui avait cédé sous sa pression, s’était creusé légèrement pour lui faire sa place et refluait sur ses bords ; et les cris des oiseaux qui tournaient autour de lui semblaient accroître son silence, élancer encore sa flèche et lui donner quelque chose d’ineffable.

Même dans les courses qu’on avait à faire derrière l’église, là où on ne la voyait pas, tout semblait ordonné par rapport au clocher surgi ici ou là entre les maisons, peut-être plus émouvant encore quand il apparaissait ainsi sans l’église. Et certes, il y en a bien d’autres qui sont plus beaux vus de cette façon, et j’ai dans mon souvenir des vignettes de clochers dépassant les toits qui ont un autre caractère d’art.

Je n’oublierai jamais, dans une curieuse cité de