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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/138

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CHRONIQUES

Hélas ! un jour vient où nous n’attendons plus à chaque instant une lettre passionnée d’une amie jusqu’ici indifférente, où nous comprenons que les caractères ne changent pas tout d’un coup, que notre désir ne peut orienter à son gré les volontés des autres, tant elles ont des choses derrière elles qui les poussent et auxquelles elles ne peuvent résister ; un jour vient où nous comprenons que demain ne saurait être tout autre qu’hier, puisqu’il en est fait.

Pourtant, dans certaines âmes pas trop desséchées par la réflexion, refleurissent, à certaines époques favorables, ces espérances mystiques. La nuit de Noël, par exemple, un parfum d’espérances monte des âmes vers Dieu, des âmes qui veulent être enfin meilleures, qui veulent être enfin aimées. Comme ce parfum doit être agréable à Dieu, quelquefois le soir de Noël, un grand artiste se plaît, bon jardinier des cœurs, à arroser les espérances prêtes à s’ouvrir. Il justifie aux yeux de la raison les téméraires affirmations du sentiment dans une sorte de petit conte à la fois vraisemblable et mystérieux, où quelque bonheur jusque-là rêvé se réalise dans la nuit de Noël. Cette année nous n’avions pas eu de conte de Noël. On ne peut pas donner ce nom, au sens d’ailleurs tout arbitraire où nous l’avons pris, à l’admirable Procurateur de Judée de M. Anatole France. Mais la Revue des Deux-Mondes nous a apporté le 1er janvier un tardif mais authentique et délicieux conte de Noël, les Petits Souliers de M. Louis Ganderax, que vous n’avez pu lire sans attendrissement et sans admiration. C’est que la pitié s’y mêle à la volupté comme pour la rendre plus douce encore. À la fin de cette nuit de Noël là, d’invisibles cassolettes répandirent l’encens