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CHRONIQUES

trouver un ton paternel. Pour les artistes qu’il admire il énumère, compare, exalte leurs différents rôles. « Tour à tour cruel dans Néron, mélancolique dans Fantasio, impétueux dans Ruy-Blas, etc. » empruntant d’ailleurs aux autres arts les termes de ses comparaisons. Quelquefois à la musique : « M. Worms ne pouvait être bon dans ce rôle. Il n’est pas écrit dans sa voix ». Plus souvent à la sculpture. Elle fournit les bas-reliefs « antiques », les « bronzes florentins », les « exquises tanagras ». On se fait peintre pour louer les « nuances fondues » de la diction de Sarah-Bernhard, pour reconnaître en Mounet-Sully « un Titien descendu de son cadre » et « marchant parmi nous ».

Les grands artistes ne sont jamais deux jours de suite les mêmes. Tant mieux, car l’irrégularité est une des marques du génie. Sarah-Bernhardt un jour « cherchait visiblement à se surpasser ». Le lendemain, elle « était au-dessous d’elle-même » et « n’a pas donné ce qu’elle aurait pu ». Quelques-uns sont « en progrès ». D’autres « dans une mauvaise voie ». Les conseils à ceux-là ne leur sont point épargnés. Parfois un article est intitulé : « Un peu de conscience, messieurs de la comédie ».

S’il échappe au critique une locution telle que « tandis que M. Worms s’esbigne », il ajoute plaisamment « comme dirait feu Royer-Collard » ou « si j’ose m’exprimer ainsi ».

Et si le nom de M. Maubant « vient sous sa plume » il mettra entre parenthèses : « Vous êtes tous empoisonnés, messeigneurs ».

Avec lui nous entrons dans l’intimité des artistes. Nous apprenons que Mlle Z., l’artiste, est doublée d’une « fine mouche » ou d’une « rusée commère »,