Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
NOTES ET SOUVENIRS

des Valois, et ce trousseau laisse loin derrière lui les trousseaux des plus élégantes juives de notre temps, trousseaux dont la description donne tant d’intérêt à la lecture des journaux catholiques. Et aujourd’hui encore, puisque l’auteur de Sens dessus dessous déclare être un de ceux qui aiment surtout avec la femme le commerce esthétique (et ce mot implique, je suppose, commerce avec des femmes bien habillées), il doit bien savoir qu’il ne faut pas aller le chercher, sauf exceptions, chez les femmes « républicaines ». Non, quoi qu’il en dise, nous ne pouvons pas nous représenter la Démocratie, comme une personne possédant le privilège, selon lui détestable, des élégances. Nous l’envisageons plutôt comme une grave matrone, assez bien vêtue si elle l’est solidement et chaudement, et brisant avec une ardeur stupide les flacons de parfums et les pots de fard sur l’autel du travail et de l’austérité. Comme on ne peut pourtant plus contredire jusqu’à la fin un homme d’autant d’esprit et de talent que l’auteur de Sens dessus dessous, nous lui citerons un fait que rapporte M. Théodore Reinach. Les femmes juives de Lyon vivaient au xiiie siècle dans un luxe si excessif et sacrifiaient tant à l’élégance, qu’on fut obligé de prendre contre elles des arrêtés très rigoureux. Il faut accorder à l’auteur de Sens dessus dessous que celles de Paris jouissent aujourd’hui d’une plus large tolérance.

Marcel Proust.
Le Banquet, avril 1892.