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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/160

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CHRONIQUES

aux yeux de presque tous ? Est-ce que la nature ne nous fait pas toucher, rudement et à nu, la puissance de la mer ou du vent d’ouest ? À chaque homme elle donne d’exprimer clairement pendant son passage sur la terre, les mystères les plus profonds de la vie et de la mort. Sont-ils pour cela pénétrés du vulgaire, malgré le vigoureux et expressif langage des désirs et des muscles, de la souffrance, de la chair pourrissante ou fleurie ? Et, je devrais citer surtout, puisqu’il est la véritable heure d’art de la nature, le clair de lune où pour les seuls initiés, malgré qu’il luise si doucement sur tous, la nature, sans un néologisme depuis tant de siècles fait de la lumière avec de l’obscurité et joue de la flûte avec le silence.

Telles sont les remarques que j’ai cru utile d’exposer, à propos de la poésie et de la prose contemporaines. Leur sévérité pour la jeunesse qu’on voudrait, plus on l’aime, voir mieux faire, les aurait rendues plus seyantes dans la bouche d’un vieillard. Qu’on excuse leur franchise, plus méritoire peut-être dans la bouche d’un jeune homme.

Marcel Proust.
Revue Blanche, 15 juillet 1896.