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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/170

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CHRONIQUES

besoin pour nous imaginer ce qu’était, vivante et dans le plein exercice de ses fonctions sublimes, une cathédrale du xiiie siècle, d’en faire comme du théâtre d’Orange, le cadre de reconstitutions, de rétrospectives exactes peut-être, mais glacées. Nous n’avons qu’à entrer à n’importe quelle heure du jour où se célèbre un office. La mimique, la psalmodie et le chant ne sont pas confiés ici à des artistes sans « conviction ». Ce sont les ministres même du culte qui officient, non dans une pensée d’esthétique, mais par foi, et d’autant plus esthétiquement. Les figurants ne pourraient être souhaités plus vivants et plus sincères, puisque c’est le peuple qui prend la peine de figurer pour nous, sans s’en douter. On peut dire que grâce à la persistance dans l’Église catholique des mêmes rites et, d’autre part, de la croyance catholique dans le cœur des Français, les cathédrales ne sont pas seulement les plus beaux ornements de notre art, mais les seuls qui vivent encore leur vie intégrale, qui soient restés en rapport avec le but pour lequel ils furent construits.

Or, la rupture du gouvernement français avec Rome semble rendre prochaine la mise en discussion et probable l’adoption d’un projet de M. Briand[1], aux termes duquel, au bout de cinq ans, les églises pourront être, et seront souvent désaffectées ; le

  1. Je dis projet Briand pour simplifier, les dispositions qui effrayent étant communes aux différents projets. Mais naturellement le projet Briand est beaucoup moins mauvais que les autres, étant l’œuvre d’un esprit sectaire, sans doute, mais par certains côtés, tout à fait supérieur. M. Briand, s’il ne la connaît pas, devrait bien lire une conférence de M. Charles Gide sur la séparation, conférence que le Bulletin de l’Action pour l’Union morale a publiée. M. Gide n’envisage le problème qu’au point de vue économique. Mais ces quelques pages sont ce qui a été écrit de plus profond sur ce sujet.