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NOTES ET SOUVENIRS

besoins littéraires bien mesquins. Mais empressons-nous d’ajouter que ceux-là qui peuvent lire à livre ouvert dans la symbolique du moyen âge ne sont pas les seuls pour qui la cathédrale vivante, c’est-à-dire la cathédrale sculptée, peinte, chantante, soit le plus grand des spectacles. C’est ainsi qu’on peut sentir la musique sans connaître l’harmonie. Je sais bien que Ruskin montrant quelles raisons spirituelles expliquent la disposition des chapelles dans l’abside des cathédrales, a dit : « Jamais vous ne pourrez vous enchanter des formes de l’architecture si vous n’êtes pas en sympathie avec les pensées d’où elles sortirent. » Il n’en est pas moins vrai que nous connaissons tous le fait d’un ignorant, d’un simple rêveur, entrant dans une cathédrale, sans essayer de comprendre, se laissant aller à ses émotions, et éprouvant une impression plus confuse sans doute, mais peut-être aussi forte. Comme témoignage littéraire de cet état d’esprit, fort différent à coup sûr de celui du savant dont nous parlions tout à l’heure, se promenant dans la cathédrale comme dans une « forêt de symboles, qui l’observent avec des regards familiers », mais qui permet de trouver pourtant dans la cathédrale, à l’heure des offices, une émotion vague mais puissante, je citerai la belle page de Renan appelée la Double Prière :

Un des plus beaux spectacles religieux qu’on puisse encore contempler de nos jours (et qu’on ne pourra plus bientôt contempler si la Chambre vote le projet Briand) est celui que présente à la tombée de la nuit l’antique cathédrale de Quimper. Quand l’ombre a rempli les bas-côtés du vaste édifice, les fidèles des deux sexes se réunissent dans la nef et chantent en langue bretonne la prière du soir sur un rythme simple et touchant. La cathédrale n’est éclairée