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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/178

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CHRONIQUES

que par deux ou trois lampes. Dans la nef, d’un côté sont les hommes, debout ; de l’autre, les femmes agenouillées forment comme une mer immobile de coiffes blanches. Les deux moitiés chantent alternativement et la phrase commencée par l’un des chœurs est achevée par l’autre. Ce qu’ils chantent est fort beau. Quand je l’entendis, il me sembla qu’avec quelques légères transformations on pourrait l’accommoder à tous les états de l’humanité. Cela surtout me fit rêver une prière qui, moyennant certaines variations, pût convenir également aux hommes et aux femmes.

Entre cette vague rêverie qui n’est pas sans charme et les joies plus conscientes du « connaisseur » en art religieux, il y a bien des degrés. Rappelons pour mémoire le cas de Gustave Flaubert étudiant, mais pour l’interpréter dans un sentiment moderne, une des plus belles parties de la liturgie catholique :

Le prêtre trempa son pouce dans l’huile sainte et commença les onctions sur ses yeux d’abord… sur ses narines friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses, sur ses mains qui s’étaient délectées aux contacts suaves… sur ses pieds enfin, si rapides quand ils couraient à l’assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marcheraient plus.

C’est ainsi que devant cette réalisation artistique, la plus complète qui fut jamais puisque tous les arts y collaborèrent, du plus grand rêve auquel se soit jamais élevée l’humanité, on peut rêver de bien des manières, et la demeure est assez grande pour que nous y puissions tous trouver place. La cathédrale qui abrite tant de saints, de patriarches, de prophètes, d’apôtres, de rois, de confesseurs, de martyrs, que des générations entières se pressent jusqu’à l’entrée