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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/179

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NOTES ET SOUVENIRS

des porches, souvent suppliantes, angoissées, élevant l’édifice en tremblant sous le ciel comme un long gémissement, tandis que des anges se penchent en souriant du haut des galeries qui, dans l’encens rose et bleu du soir et l’or éblouissant du matin, apparaissent vraiment comme « les balcons du ciel », la cathédrale, dans son immensité, peut aussi bien donner asile au lettré qu’au croyant, au vague rêveur qu’à l’archéologue ; ce qui importe, c’est qu’elle reste vivante et que du jour au lendemain la France ne soit pas transformée en une grève desséchée où de géants coquillages ciselés sembleraient comme échoués, vidés de la vie qui les habita, et n’apportant même plus à l’oreille qui se pencherait sur eux la vague rumeur d’autrefois, simples pièces de musée, musées glacés elles-mêmes. « Il n’est pas trop tard, écrivait il y a quelques années M. André Hallays, pour relever une idée saugrenue, qui paraît-il est née dans la cervelle de quelques Vézelayens. Ceux-ci voudraient qu’on désaffectât l’église de Vézelay. L’anticléricalisme inspire de grandes sottises. Désaffecter cette basilique, c’est vouloir lui retirer le peu d’âme qui lui reste. Lorsqu’on aura éteint la petite lampe qui brille au fond du chœur, Vézelay ne sera plus qu’une curiosité archéologique. On y respirera l’odeur sépulcrale des musées. » C’est en continuant à remplir l’office auquel elles furent primitivement destinées que les choses, dussent-elles lentement mourir à la tâche, gardent leur beauté et leur vie. Croit-on que dans les musées de sculpture comparée, les moulages des célèbres stalles en bois sculptés de la cathédrale d’Amiens peuvent donner une idée des stalles elles-mêmes, dans leur vieillesse auguste et toujours exerçante ? Tandis qu’au musée