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CHRONIQUES

comédie ou de musique, entreprise de reconstitution des tragédies antiques au théâtre d’Orange, etc., etc., toutes sociétés ayant un but artistique contestable, conservant des œuvres dont beaucoup sont faibles (que reste-t-il devant le chœur de Beauvais, ou les statues de Reims du Jour, de l’Aventurière ou du Gendre de M. Poirier ?), tandis que l’œuvre qu’est la cathédrale du moyen âge avec ses milliers de figures peintes ou sculptées, ses chants, ses offices, est la plus noble de toutes celles à laquelle se soit jamais haussé le génie de la France.

Et nous n’avons parlé dans cet article que des cathédrales pour donner à ces conséquences du projet Briand leur forme la plus frappante, la plus choquante pour l’esprit du lecteur. Mais on sait que la distinction entre les églises cathédrales et les autres est tout à fait artificielle, puisqu’il suffisait, à l’occasion d’une fête, d’y dresser la cathèdre d’un évêque, pour qu’une église devînt momentanément cathédrale. Ce que j’ai dit des cathédrales s’applique à toutes les belles églises de France et on sait qu’il y en a des milliers. En suivant une route française entre les champs de sainfoin et les clos de pommiers qui se rangent de chaque côté pour la laisser passer « si belle », c’est presque à chaque pas que vous apercevez un clocher qui s’élève contre l’horizon orageux ou clair, traversant, les jours de pluie ensoleillée, un arc-en-ciel qui, comme une mystique auréole reflétée sur le ciel prochain de l’intérieur même de l’église entr’ouverte, juxtapose sur le ciel ses couleurs riches et distinctes de vitrail ; c’est presque à chaque pas que vous apercevez un clocher s’élevant au-dessus des maisons qui regardent à terre, comme un idéal, s’élançant dans la voix des