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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/20

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CHRONIQUES

mort, survenue il y a deux ans, causa un profond chagrin à la princesse auprès de laquelle il venait passer plusieurs mois tous les ans, soit à Paris, soit à Saint-Gratien.

Il y avait aussi, à cette époque, parmi les intimes de la princesse, une personne qui ne vient plus qu’assez rarement chez elle et qui égayait tout le monde à ses dépens tant elle était simple d’esprit — ce qui ne l’empêchait pas d’être, au demeurant, le meilleur être du monde. Poussée à un tel degré, la naïveté devient comique, et celle de cet ami de la princesse valait aux personnes avisées qui recherchaient sa conversation des propos, à leur manière, délicieux.

— Mon cher, disait à un de ses amis la princesse, après le dîner, un soir de neige, puisque vous voulez absolument partir, prenez au moins un parapluie. Il ne neige plus en ce moment, mais il peut reneiger.

— C’est inutile, il ne neigera plus, princesse, interrompit la personne en question, car elle intervenait volontiers. Il ne neigera plus.

— Qu’en savez-vous ? demanda la princesse.

— Je le sais, princesse, il ne neigera plus… Il ne peut plus neiger… On a mis du sel !

Chacun se mit à sourire et l’ami dit :

— Au revoir, princesse, je téléphonerai demain à Votre Altesse pour lui demander de ses nouvelles.

— Ah ! le téléphone, quelle belle invention ! s’écrie le brillant interrupteur. C’est la plus belle découverte qu’on ait jamais faite… (se reprenant de peur d’avoir manqué à la vérité) depuis les tables tournantes, bien entendu !

Je ne sais si cet aimable comique, cet involontaire