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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/21

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LES SALONS. LA VIE DE PARIS

homme d’esprit, un peu retiré du monde en ce moment, est ce soir chez la princesse.

Mais au temps où il y brillait, de quelle douce gaieté remplissait-il tous les convives par l’imprévu de ses interruptions, et les trouvailles de ses réflexions ! Il fallait l’entendre soutenir que Flaubert avait pour lui tant d’estime, qu’il lui avait fait un jour la lecture de Bouvard et Pécuchet.

La princesse, agacée de tant d’invraisemblance, proteste un peu vivement. Le confident de Gustave Flaubert insiste, redouble d’assurance.

— Vous confondez !

— Non, je suis sûr ; et voyant qu’on a l’air de sourire, il fait cette concession : Ah ! c’est vrai, princesse, je me trompe un peu. Je confondais. Il m’a lu « Bouvard », cela, j’en suis sûr. Mais vous avez raison, il ne m’a pas lu « Pécuchet ».

Mais c’est assez nous attarder à ces souvenirs. Déjà la porte du salon de la princesse s’entr’ouvre, elle reste entrebâillée, pendant que la dame qui va entrer — personne ne sait encore qui c’est — ajuste une dernière fois sa toilette ; les messieurs ont quitté la table où ils feuilletaient les revues. La porte s’ouvre : c’est la princesse Jeanne Bonaparte suivie de son mari, le marquis de Villeneuve. Tout le monde se lève.

Quand la princesse Jeanne est à mi-chemin de la princesse, celle-ci se lève et accueille à la fois la princesse Jeanne et la duchesse de Trévise qui vient d’entrer avec la duchesse d’Albuféra.

Chaque dame qui entre fait la révérence, baise la main de la princesse, qui la relève et l’embrasse, ou lui rend sa révérence, si elle la connaît moins.