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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/205

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CRITIQUE LITTÉRAIRE

… Près des flots de la Drance
Où la truite glacée et fluide s’élance,
Hirondelle d’argent aux ailerons mouillés.

Métaphores qui recomposent et nous rendent le mensonge de notre première impression, quand, nous promenant dans un bois ou suivant les bords d’une rivière, nous avons pensé d’abord, en entendant rouler quelque chose, que c’était quelque fruit, et non un oiseau, ou quand, surpris par la vive fusée au-dessus des eaux d’un brusque essor, nous avions cru au vol d’un oiseau, avant d’avoir entendu la truite retomber dans la rivière. Mais ces charmantes et toutes vives comparaisons qui substituent, à la constatation de ce qui est, la résurrection de ce que nous avons senti (la seule réalité intéressante) disparaissent elles-mêmes à côté d’images vraiment sublimes, toutes créées, dignes des plus belles d’Hugo. Il faudrait avoir lu toute la pièce sur la splendeur, l’ivresse, l’élan de ces matinées d’été où on renverse la tête afin de suivre des yeux un oiseau lancé jusqu’au ciel, pour éprouver tout le vertige de sentir tout le mystère de ces deux derniers vers :

Tandis que détaché d’une invisible fronde,
Un doux oiseau jaillit jusqu’au sommet du monde.

Connaissez-vous une image plus splendide et plus parfaite que celle-ci (il s’agit de ces admirables Eaux de Damas, qui s’élancent et montent dans le fût des fontaines, puis retombent, font passer partout les linges mouillés de leur fraîcheur et l’odeur du melon et des poires crassanes avec un parfum de rosier) :