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CHRONIQUES

Comme une jeune esclave
Qui monte, qui descend, qui parfume et qui lave !

Là encore, pour comprendre toute la noblesse, toute la pureté, tout « l’inventé » de cette image si soudaine et si achevée, qui naît immédiate et complète, il faut relire la pièce, l’une des plus « poussées » en expression, des plus entièrement senties aussi de ce volume, peinte du commencement jusqu’à la fin, en face, en présence d’une sensation pourtant si fugace qu’on sent que l’artiste a dû être obligé de la recréer mille fois en lui pour prolonger les instants de la pose et pouvoir achever sa toile d’après nature, des plus étonnantes réussites, le chef-d’œuvre peut-être, de l’impressionnisme littéraire. Notons au passage des « homards bleus » dont la couleur fera un peu de tapage, puis qui plairont à tous comme les « hérons bleus », les « flamants roses », les « ours enivrés du raisin » et « les jeunes crocodiles » du début d’Atala qui, à l’époque, firent crier certaines gens et se sont fondus depuis dans la délicieuse couleur de l’ensemble. Nous les signalons bravement, ces homards bleus, que nous trouvons, pour notre part, fort à notre goût, aux abbés Morellet du jour. Puis ce sont d’extraordinaires pièces sur la Perse, où

De beaux garçons persans en bonnets de fourrure,
Aux profils aussi ronds que de jeunes béliers,

disent à l’auteur :

Nous déploierons pour vous de merveilleux tapis
Où l’on voit s’enfoncer sous des arcs d’églantine
Des lions langoureux et des cerfs assoupis,