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CHRONIQUES

La Terre encor mouillée et molle du Déluge

jusqu’à Jésus-Christ :

En bas un roi chantait, en haut mourait un Dieu.

Ce grand poème biblique (comme eût dit Lucien de Rubempré : « Biblique, dit Zifine étonnée ? ») n’a rien de sèchement historique, il est perpétuellement vivifié par la personnalité de Victor Hugo qui s’objective en Booz. Quand le poète dit que les femmes regardaient Booz plus qu’un jeune homme, c’est ou bien pour rappeler de récentes bonnes fortunes, ou pour en provoquer. Il cherche à convaincre les femmes que si elles ont du goût, elles aimeront non un freluquet, mais le vieux barde. Tout cela dit avec la syntaxe la plus libre et la plus noble. Sans parler des vers trop illustres sur les yeux du jeune homme comparés à ceux du vieillard (avec préférence naturellement pour ce dernier) de quelle familiarité Hugo n’use-t-il pas, dans ce couplet même, pour asservir, aux lois du vers, celles de la logique

Le vieillard, qui revient vers sa source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants


En prose on eût évidemment commencé par dire « sort des jours changeants ». Et il ne craint pas de jeter à la fin du vers où elles s’anoblissent, des phrases tout à fait triviales :

Laissez tomber exprès des épis, disait-il

Tout le temps, des impressions personnelles, des moments vécus, soutiennent ce grand poème historique. C’est dans une impression ressentie sans aucun doute