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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/231

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CRITIQUE LITTÉRAIRE

par Victor Hugo et non dans la Bible, qu’il faut chercher l’origine des vers admirables :

Quand on est jeune on a des matins triomphants,
Le jour sort de la nuit ainsi qu’une victoire.

Les pensées les plus indivisibles sont rendues au degré de fusion nécessaire :

Voilà longtemps que celle avec qui j’ai dormi
Ô Seigneur, a quitté ma couche pour la vôtre
Et nous sommes encor tout mêlés l’un à l’autre
Elle à demi vivante, et moi mort à demi.

La noblesse de la syntaxe ne fléchit pas même dans les vers les plus simples :

Booz ne savait pas qu’une femme était là
Et Ruth ne savait pas ce que Dieu voulait d’elle[1].


Et dans ceux qui suivent quel art suprême pour donner en redoublant les l, une impression de légèreté fluidique :

Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.

Alfred de Vigny n’a pas procédé autrement : pour insuffler une vie intense dans cet autre épisode biblique, la Colère de Samson, c’est lui-même Vigny qu’il a objectivé en Samson et c’est parce que l’amitié de

  1. C’est intentionnellement que je ne fais pas ici allusion aux études d’une drôlerie et d’une ampleur magnifique que Léon Daudet a publiées récemment avec un succès juste et prodigieux. Ici il n’importe pas que Victor Hugo ne fût réellement Booz ; mais qu’il le crût ou cherchât à le faire croire.