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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/232

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CHRONIQUES

Mme Dorval pour certaines femmes lui causait de la jalousie qu’il a écrit :

La femme aura Gomorrhe et l’homme aura Sodome


Mais l’admirable sérénité d’Hugo qui lui permet de conduire Booz endormi jusqu’à l’image pastorale de la fin,

Quel Dieu, quel moissonneur de l’éternel été
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.


cette sérénité, qui assure le majestueux déroulement du poème, ne vaut pas l’extraordinaire tension de celui d’Alfred de Vigny. Tout aussi bien dans ses poésies calmes Vigny reste mystérieux, la source de ce calme et de son ineffable beauté nous échappent. Victor Hugo fait toujours merveilleusement ce qu’il faut faire ; on ne peut pas souhaiter plus de précision que dans l’image du croissant ; même les mouvements les plus légers de l’air, nous venons de le voir, sont admirablement rendus. Mais là encore la fabrication — la fabrication même de l’impalpable — est visible. Et alors au moment qui devrait être si mystérieux, il n’y a nulle impression de mystère. Comment dire en revanche comment sont faits des vers, mystérieux ceux-là, comme

Dans les balancements de ta taille penchée
Et dans ton pur sourire amoureux et souffrant

ou

Pleurant comme Diane au bord de ses fontaines
Ton amour taciturne et toujours menacé.