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CRITIQUE LITTÉRAIRE

sur ces malheureuses petites vieilles les vers les plus vigoureux que la langue française ait connus, sans songer plus à adoucir sa parole pour ne pas flageller les mourantes, que Beethoven dans sa surdité ne comprenait en écrivant la Symphonie avec chœurs, que les notes n’en sont pas toujours écrites pour des gosiers humains, audibles à des oreilles humaines, que cela aura toujours l’air d’être chanté faux. L’étrangeté qui fait pour moi le charme enivrant de ses derniers quatuors, les rend à certaines personnes qui en chérissent pourtant le divin mystère, inécoutables, sans qu’elles grincent des dents, autrement que transposés au piano. C’est à nous de dégager ce que contiennent de douleur ces petites vieilles, « débris d’humanité pour l’Éternité mûrs ». Cette douleur, le poète nous en torture, plutôt qu’il ne l’exprime. Pour lui, il laisse une galerie de géniales caricatures de vieilles, comparables aux caricatures de Léonard de Vinci, ou de portraits d’une grandeur sans égale mais sans pitié :

Celle-là droite encor, fière et sentant la règle
Humait avidement le chant vif et guerrier.
Son œil parfois s’ouvrait comme l’œil d’un vieil aigle,
Son front de marbre avait l’air fait pour le laurier.

Ce poème des Petites Vieilles est un de ceux où Baudelaire montre sa connaissance de l’Antiquité. On ne la remarque pas moins dans le Voyage, où l’histoire d’Électre est citée comme elle aurait pu l’être par Racine dans une de ses préfaces. Avec la différence que dans les préfaces des classiques, les allusions sont généralement pour se défendre d’un