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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/24

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CHRONIQUES

— en quoi elle se trouvait très en avance sur le goût de ses contemporains et sur celui de Sainte-Beuve lui-même.

Mais il se peut qu’il faille voir, dans sa conduite avec eux, plutôt la fidélité d’une amie délicate à deux hommes de cœur qu’une prédilection véritable pour le génie de l’un et pour le talent de l’autre.

Combien de grands écrivains méconnus de leur vivant n’ont dû ainsi qu’à leurs qualités de cœur, à leur charme social, des amitiés précieuses que, rétrospectivement, nous croyons que leur valait leur génie !

En tout cas, le nom de la princesse reste gravé sur les Tables d’or de la littérature française. Un volume entier de Mérimée, Lettres à la Princesse ; de nombreuses lettres de Flaubert, un « Lundi » de Sainte-Beuve, tant de pages mieux intentionnées qu’adroites du Journal des Goncourt, donnent de la princesse l’idée la plus favorable et la plus haute.

Taine, Renan, combien d’autres, furent aussi ses amis ! Elle se brouille avec Taine, sur la fin de sa vie, à la suite de la publication de son Napoléon Bonaparte. Il lui avait dit :

— Vous le lirez, vous me direz ce que vous en pensez.

Il le lui envoya. Elle lut ces pages indépendantes et terribles où Napoléon apparaît comme une sorte de condottiere. Le lendemain, elle envoyait sa carte à Taine, où plutôt mettait sa carte chez Mme Taine, à qui elle devait une visite, avec ces simples mots : « P. P. C. » C’était sa réponse et la signification de ne plus avoir à revenir chez elle.

À quelque temps de là, elle s’emporta contre