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LES SALONS. LA VIE DE PARIS

l’écrivain qui avait si mal parlé de son oncle illustre. José-Maria de Hérédia, qui était présent, prit la défense de Taine avec une chaleur qui déplut à la princesse et elle le lui témoigna avec une certaine vivacité.

— Votre Altesse a bien tort, dit Hérédia. Elle devrait, au contraire, en me voyant prendre, même contre elle, le parti d’un ami absent, comprendre qu’on peut, que surtout Elle peut, compter sur ma fidélité.

La princesse sourit et lui serra affectueusement la main.

Du reste, un ton de grande liberté règne entre la princesse et ses amis, bien marqué dans le vocabulaire par le nom de « princesse » dont ils l’appellent, quand le protocole voudrait « madame ». Ils ne se font pas faute de la contredire et de lui résister. Aussi est-on un peu étonné de lire dans Sainte-Beuve des phrases comme celles-ci : « Elle et son frère — le prince Napoléon — sont en cela semblables, si l’on se permettait d’être observateur en les écoutant. »

Et pourquoi ne se le permettrait-on pas ?

La princesse n’a qu’à gagner à être finement observée, et n’eût-elle pas à y gagner, qu’importe ? Amicus Plato sed magis amica veritas !

Un artiste ne doit servir que la vérité et n’avoir aucun respect pour le rang. Il doit simplement en tenir compte dans ses peintures, en tant qu’il est un principe de différenciation, comme par exemple la nationalité, la race, le milieu. Toute condition sociale a son intérêt et il peut être aussi curieux pour l’artiste de montrer les façons d’une reine, que les habitudes d’une couturière.