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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/252

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CHRONIQUES

Et c’est tout le temps aussi bien. Malgré cela nous n’aurions pas cité Leconte de Lisle comme le dernier poète de quelque talent (avant le Parnasse et le Symbolisme) s’il n’y avait chez lui une source délicieuse et nouvelle de poésie, un sentiment de la fraîcheur, apporté sans doute des pays tropicaux où il avait vécu. Je n’ai là-dessus aucun renseignement et je regrette avant de vous écrire, mon cher Rivière, de ne pas avoir été en état d’aller trouver un grand poète dont Leconte de Lisle favorisa paternellement les débuts, Mme Henri de Régnier. Elle eut sans doute çà et là rectifié d’un mot juste une affirmation qui ne l’est peut-être pas. Mais nous n’avons voulu aujourd’hui, n’est-ce pas, qu’essayer de lire ensemble, de mémoire, à haute voix, et en nous fiant à notre seul sens critique. Or si, sans renseignements d’aucune sorte, on laisse seulement revenir d’eux-mêmes dans sa mémoire quelques vers bien choisis de Leconte de Lisle, on est frappé du rôle que, non pas seulement le soleil, mais les soleils, ne cessent d’y jouer. Je ne parle plus de la cendre du soleil qui revient tant de fois, mais des « joyeux soleils des naïves années », des « stériles soleils qui n’êtes plus que cendres », de « tant de soleils qui ne reviendront plus », etc. Sans doute tous ces soleils traînent après eux bien des souvenirs des théogonies antiques. L’horizon est « divin ». La vie antique est faite inépuisablement

Du tourbillon sans fin des espérances vaines.

Ces soleils

L’esprit qui les songea les entraîne au néant.