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CRITIQUE LITTÉRAIRE

comprennent pas que selon moi il n’y ait qu’une seule manière de peindre une chose. En effet dans la Chevelure Baudelaire dit :

Un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur

et dans le Poème en prose correspondant :

Où se prélasse l’éternelle chaleur.


Il y a donc deux versions également belles et de plus les deux fois l’épithète est un verbe. J’ajoute que personne ne m’écrit cela et que c’est mon propre souvenir qui casse le nez, comme dit Molière, à mon raisonnement. Je persiste à croire que l’agréable passage de Sainte-Beuve cité il y a environ un an par M. Halévy, et que je connaissais fort bien, n’a rien de si remarquable. Et que même il n’y a pas lieu de s’extasier sur les vers de Virgile, si justes, que cite l’auteur des Lundis. Naturellement, condamné depuis tant d’années à vivre dans une chambre aux volets fermés, qu’éclaire la seule électricité, j’envie les belles promenades du sage de Mantoue. Mais pour lui, qui a passé une partie de sa vie à écrire les Géorgiques et les Bucoliques, il serait un peu fort qu’il n’eût jamais eu l’idée de regarder le ciel et la disposition des nuages par un temps pluvieux. C’est charmant, mais il n’y a pas de quoi se récrier sur une simple observation. Chateaubriand, lui, avait sur ce même sujet des nuages bien plus que des observations, des impressions, ce qui n’est pas la même chose, et génialement exprimées. Tout ceci ne touche en rien à mon admiration pour Virgile. Le danger d’articles