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LES SALONS. LA VIE DE PARIS

maintenant beaux encore, mais ils n’étaient plus jeunes.

Pris d’une sorte de coquetterie émue, ils restèrent d’abord loin l’un de l’autre, dans l’ombre, aucun n’osant montrer à l’autre combien il avait changé. Ces nuances furent marquées de part et d’autre avec une justesse de ton, un sentiment de la mesure exquis. Une véritable intimité s’ensuivit, qui dura jusqu’à la mort du prince.

La princesse Mathilde, qui aurait pu, si elle l’avait voulu, épouser son cousin, l’empereur Napoléon, ou son cousin, le fils de l’empereur de Russie, fut mariée à vingt ans au prince Demidoff.

Quand elle arrive en Russie comme princesse Demidoff, l’empereur Nicolas, son oncle, qui l’avait voulue comme belle-fille, lui dit :

— Jamais je ne vous le pardonnerai.

Il haïssait Demidoff, défendit qu’on prononçât son nom devant lui, et quand, de temps en temps, il venait à l’improviste dîner chez sa nièce, il ne regardait même pas son mari.

Quand il la sentit malheureuse, il lui dit :

— Quand vous aurez besoin de moi, vous me trouverez toujours ; adressez-vous directement à moi.

Il tint parole ; la princesse ne l’oublia jamais.

Quand elle rentra en France, comme cousine de l’empereur, elle n’eut pas de plus pressant devoir que d’écrire à l’empereur Nicolas.

Il lui répondit (10 janvier 1853) :

« J’ai eu un grand plaisir, ma chère nièce, à recevoir votre bonne et aimable lettre. Elle témoigne de sentiments aussi honorables pour vous qu’ils sont agréables pour moi ; puisque, suivant votre expression,