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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/28

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CHRONIQUES

la nouvelle fortune de la France est venue vous chercher, jouissez des faveurs qu’elle vous donne ; elles ne sauraient être mieux placées que dans des mains aussi reconnaissantes que les vôtres. Je suis charmé d’avoir pu vous prêter mon appui en d’autres temps… »

Mais voici qu’éclate la guerre de Crimée.

Partagée entre son patriotisme de princesse française et sa gratitude envers son oncle et son bienfaiteur, la princesse écrivit à l’empereur Nicolas une lettre touchante où le chauvinisme le plus pointilleux n’aurait rien trouvé à reprendre. L’Empereur y répondit ainsi (9 février 1854) :

« Je vous remercie bien sincèrement, ma chère nièce, des nobles sentiments que m’exprime votre lettre. Un cœur tel que le vôtre ne saurait changer selon les phases mobiles de la politique. J’en avais la certitude ; mais, dans la situation actuelle, je devais éprouver une satisfaction particulière à recevoir de bonnes et amicales paroles qui me parviennent d’un pays où dans ces derniers temps la Russie et son souverain n’ont cessé d’être en butte aux plus haineuses accusations. Comme vous, je déplore la suspension des bons rapports entre la Russie et la France qui vient de s’accomplir malgré tous les efforts que j’ai faits pour ouvrir les voies à une entente amicale. En voyant l’avènement de l’Empire en France, je me plaisais à espérer que le retour de ce régime pourrait ne point entraîner, comme une conséquence inévitable, celle d’une lutte de rivalités avec la Russie, et d’un conflit à main armée entre les deux pays. Plaise au ciel que l’orage prêt à éclater puisse se dissiper encore ! Après un intervalle de plus de quarante ans, l’Europe serait-elle donc destinée à servir, de nouveau, de théâtre à la