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LES SALONS. LA VIE DE PARIS

charmant, rien ne serait plus naturel. Mais il paraît surtout ravi qu’on le voie causer avec un duc. De sorte que je ne puis m’empêcher de dire à mon voisin : « Des deux, c’est lui qui a l’air d’être « honoré ». Calembour dont la saveur échapperait évidemment aux lecteurs qui ne sauraient pas que le duc de Luynes « répond », comme disent les concierges, au prénom d’Honoré. Mais avec les progrès de l’instruction et la diffusion des lumières, on est en droit de penser que ces lecteurs, si tant est qu’ils existent encore, ne sont plus qu’une infime et d’ailleurs peu intéressante minorité.

M. Paul Deschanel interroge le secrétaire de la légation de Roumanie, prince Antoine Bibesco, sur la question macédonienne. Tous ceux qui disent « prince » à ce jeune diplomate d’un si grand avenir, se font à eux-mêmes l’effet de personnages de Racine, tant avec son aspect mythologique il fait penser à Achille ou à Thésée. M. Mézières, qui cause en ce moment avec lui, a l’air d’un grand-prêtre qui serait en train de consulter Apollon. Mais si, comme le prétend ce puriste de Plutarque, les oracles du dieu de Delphes étaient rédigés en fort mauvais langage, on ne peut en dire autant des réponses du prince. Ses paroles, comme les abeilles de l’Hymette natal, ont des ailes rapides, distillent un miel délicieux et ne manquent pas, malgré cela, d’un certain aiguillon.

Tous les ans, reprises à la même époque (celle où les Salons de peinture s’ouvrent, la maîtresse de maison a moins à travailler), semblant suivre ou ramener avec elles l’universel renouveau, l’efflorescence enivrée des lilas qui vous tendent gentiment leur odeur à respirer jusqu’à la fenêtre de l’atelier et comme