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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/36

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CHRONIQUES

bon, fastueux sans morgue et raffiné sans prétention, il ravit ses partisans et désarme ses adversaires (nous entendons ses adversaires politiques, car sa personnalité n’a que des amis). Plein d’égards pour sa jeune femme, il s’inquiète du courant d’air froid que pourrait lui envoyer la porte du jardin, laissée entr’ouverte par Mme Lemaire afin que les arrivants entrent sans faire de bruit. M. Grosclaude, qui cause avec lui, s’étonne de la façon très honorable pour un homme qui pourrait ne s’occuper que de plaisirs dont il s’est mis si sérieusement à l’étude des questions pratiques qui intéressent son arrondissement. Mme Lemaire paraît bien ennuyée aussi de voir le général Brugère debout, parce qu’elle a toujours eu un penchant pour l’armée. Mais cela devient plus qu’une petite contrariété quand elle voit Jean Béraud ne pas même pouvoir pénétrer dans le hall ; cette fois-ci elle n’y peut tenir, fait lever les personnes qui encombrent l’entrée, et au jeune et glorieux maître, à l’artiste que le nouveau monde comme l’ancien acclament, à l’être charmant que tous les mondes recherchent sans pouvoir l’obtenir, elle fait une entrée sensationnelle. Mais comme Jean Béraud est aussi le plus spirituel des hommes, chacun l’arrête au passage, pour causer un instant avec lui et Mme Lemaire, voyant qu’elle ne pourra l’arracher à tous ces admirateurs qui l’empêchent de gagner la place qu’on lui avait réservée, renonce avec un geste de désespoir comique, et retourne auprès du piano où Reynaldo Hahn attend que le tumulte s’apaise pour commencer à chanter. Près du piano, un homme de lettres encore jeune et fort snob, cause familièrement avec le duc de Luynes. S’il était enchanté de causer avec le duc de Luynes, qui est un homme fin et