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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/53

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LES SALONS. LA VIE DE PARIS

considérer un instant, fût-ce à titre de « survivants » (on peut être encore jeune, n’avoir pas encore longtemps vécu, et pourtant survivre, et même en toute sa vie n’avoir jamais vécu mais survécu) deux exemplaires de cette civilisation que Renan jugeait assez exquise pour justifier en quelque sorte l’ancien régime et lui faire préférer la France légère à la savante Allemagne ? Ne pourrions-nous pas voir de ces êtres dont la noble stature faisait tout naturellement une noble statue et que la sculpture après leur mort couchait au fond des chapelles, au-dessus de leurs tombeaux ? Naturellement, ajouterait ce lecteur, je voudrais ces deux êtres intelligents et, sinon dirigeant, du moins vivant la vie d’aujourd’hui, mais encore y faisant passer un peu des grâces de la vie d’autrefois. » À ce jeune lecteur, je répondrais : « Faites-vous présenter au comte et à la comtesse d’Haussonville ». Et si je voulais réaliser l’expérience dans les conditions les plus favorables, je tâcherais que la présentation eût lieu dans la demeure saturée du passé dont M. et Mme d’Haussonville ne sont que le prolongement, la fleur et la maturation : à Coppet.

Je ne voudrais pas, par une historiette dont je ne puis d’ailleurs garantir les termes, faire du tort, auprès de ceux de son parti, à l’homme merveilleusement doué pour la pensée, pour l’action et pour la parole qu’est M. Jaurès. Mais en somme qui pourrait s’offusquer de ceci ? Un jour que l’admirable orateur dînait chez une dame dont les collections sont célèbres, et qu’il s’extasiait devant une toile de Watteau : « Mais, dit-elle, Seigneur, si votre règne arrive, tout ceci me sera retiré » (elle entendait le règne communiste). Mais alors, le messie du monde nouveau la rassura