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CHRONIQUES

par ces paroles divines : « Femme, n’ayez pas souci de cela, car toutes ces choses vous seront laissées en garde, par surcroît ; en vérité, vous les connaissez mieux que nous, vous les aimez davantage, vous en prendrez mieux soin, il est donc bien juste que ce soit vous qui les gardiez. » J’imagine qu’en vertu du même principe, à savoir que les choses doivent aller à qui les aime et les connaît, M. Jaurès, dans une Europe collectiviste laisserait à M. d’Haussonville la « garde » de Coppet pour la raison qu’il l’aime et le connaît mieux que personne. Avant même la mort de Mlle d’Haussonville, qui fit passer Coppet entre ses mains, on peut avancer que Coppet appartenait pour ainsi dire déjà à M. d’Haussonville.

Il « possédait » entièrement le sujet, sinon la terre même. Et son livre, Le Salon de Mme Necker, écrit à cette époque, prouve que Coppet était, dès lors, à lui « par droit de conquête ». Il allait le devenir aussi « par droit de naissance ». Ce n’est pas que l’ouvrage soit le meilleur de ceux qu’a écrits M. d’Haussonville. À cette époque, M. d’Haussonville le père vit encore, et l’auteur du Salon de Mme Necker n’est encore que le « vicomte » d’Haussonville. Son talent n’est en quelque sorte, que « présomptif ». Il lui manque « l’avènement ». Il ne tient pas encore bien en mains les rênes de son style, qui reste flottant et comme lâché çà et là dans la tenue des phrases. On sent un peu de négligence. Plus tard, il arrivera à cette manière pleinement maîtresse, plus resserrée et particulièrement heureuse et qui fait de lui le plus habile, le plus parfait discoureur, le plus piquant historien de l’Académie. Mais, tel qu’il est, le livre est très agréable à lire. On sent que le futur propriétaire