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CHRONIQUES

vateurs », M. d’Haussonville est le plus sincèrement, le plus courageusement « libéral ». Je citerai son interview, trop peu remarquée, au moment où il adhéra à la Ligue de la Patrie française, et où il expliquait comment devaient se concilier, selon lui, l’amour de la patrie, et le respect de la justice ; tout dernièrement encore ses lettres sur l’Étape, de Paul Bourget. Personne n’est plus qualifié que lui pour protester contre les persécutions dont sont victimes aujourd’hui les catholiques. Car, avec M. Anatole Leroy-Beaulieu, il n’a pas attendu le déchaînement de l’« anticléricalisme » pour flétrir avec force tous les autres modes de l’esprit sectaire, qui sont tantôt ses corollaires et tantôt ses précurseurs.

Son autorité lui a valu d’être choisi comme le consultant attitré de bien des cas d’incertitude littéraire, des formes de ce mal que Renan appelait : morbus litterarius. Il en est le docteur écouté, sagace, aimable, un peu vétilleux, un peu alarmiste peut-être, à force d’être consciencieux. Ses avis, parfois pessimistes par crainte d’être flatteurs, pourraient avoir le défaut de décourager le génie. Mais c’est une occasion qu’on n’a en somme que très rarement. Et ils lui valent parfois, en revanche, d’avertir et de guider le talent des autres dans les heures où il se délasse d’exercer le sien. Mais à cette magistrature littéraire on aurait aimé lui voir, en d’autres temps, ajouter une magistrature politique. Avec son esprit tolérant et large, son cœur ouvert à la pitié, il eût été le ministre modèle du bon Roi, du prince juste et éclairé.

Horatio.
Le Figaro, 4 janvier 1904.