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CHRONIQUES

Potocka, jusqu’à prendre la peine d’en régler ainsi les plus minutieux détails.

Comtesse Pietranera ! princesse de Cadignan ! figures charmantes ! ni plus « littéraires » ni plus « vivantes » que celle, du reste si différente, de la comtesse Potocka. Que de fois j’ai pensé à vous (je veux dire au cadre extérieur de votre vie, non à votre vie, bien entendu) en voyant un visiteur peu favorisé sonner au petit hôtel de la rue Chateaubriand et recevoir du concierge un impitoyable : « Madame la comtesse est sortie », tandis que devant la porte l’équipage de la duchesse de Luynes se promenant au pas ou l’automobile de la comtesse de Guerne arrêtée, disaient trop clairement que « Madame la comtesse » était bel et bien rentrée. Pour ne pas ajouter une humiliation à la tristesse du visiteur éconduit, j’attendais qu’il fût loin. Alors seulement je m’approchais du concierge qui me concédait : « La comtesse est chez elle. » La porte lourdement refermée sur la rue Chateaubriand, il semblait que par quelque enchantement on se trouvât à dix lieues de Paris, tant « le petit jardin plein d’arbustes et de gazon » décrit par Balzac dépaysait aussitôt l’imagination en s’adressant vivement à elle dans le langage de son silence et la rumeur de ses parfums. Jamais zone d’initiation ne fut plus féconde à traverser avant d’approcher une déesse.

Au moment où on arrivait au vestibule de la comtesse on avait déjà dépouillé tous les souvenirs et toutes les préoccupations de la ville et de la journée. On arrivait aussi autre que si l’on avait dû faire un long pèlerinage pour trouver une maison isolée. Mais pour des raisons, très balzaciennes aussi, que nous expliquerons tout à l’heure, cet exil au cœur même