Aller au contenu

Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
62
CHRONIQUES

et avait été inquisiteur à Malte, nonce en Pologne, etc… ce Pape, dont la mémoire doit être précieuse à tout Français et si singulièrement chère à la maison régnante » (Saint-Simon, pages 364 et 365 du tome II de l’édition Chéruel). Cette partie de la généalogie de la comtesse Potocka ne nous semble pas indifférente. Il me semble que je retrouve en elle l’ardente patriote, l’ami de la France, le royaliste fidèle et, si j’ose le dire, un peu aussi le grand inquisiteur que fut son ancêtre. Parmi celles de ses amies hérétiques (j’excepte naturellement, ainsi qu’une ou deux autres, l’exquise Mme Cahen pour qui elle a une affection profonde et la femme remarquable qu’est Mme Kahn) qu’elle emmène volontiers à l’Opéra, je me demande parfois s’il n’y en a pas que dans un autre temps elle n’eût, avec plus de plaisir encore, conduites au bûcher. Elle a l’esprit, libéré de tout préjugé, mais fidèle à des superstitions sociales. Elle est pleine de contrastes, de richesses et de beautés.

Elle a connu tous les plus curieux artistes de la fin du siècle. Maupassant allait tous les jours chez elle. Barrès, Bourget, Robert de Montesquiou, Forain, Fauré, Reynaldo Hahn, Widor y vont encore. Elle fut aussi l’amie d’un philosophe connu, et si elle fut toujours bonne et fidèle à l’homme, en lui elle aimait à humilier le philosophe. Là encore je retrouve la petite nièce des Papes, voulant humilier la superbe de la raison. Le récit des farces qu’elle faisait, dit-on, au célèbre Caro me fait invinciblement penser à cette histoire de Campaspe faisant marcher Aristote à quatre pattes, une des seules histoires de l’antiquité que le moyen âge ait figurées dans ses cathédrales afin de montrer l’impuissance de la philosophie païenne