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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/65

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LES SALONS. LA VIE DE PARIS

à préserver l’homme des passions. Ainsi, dans les farces attribuées par la légende à la comtesse Potocka, et dont la philosophie spiritualiste aurait été la victime souriante et résignée, je crois voir à côté de la gaieté napolitaine comme une préoccupation atavique, un souci inconscient d’apologétique chrétienne. Ceux qui sont une fois arrivés à vaincre les caprices magnifiques de cet être altier et rare ont pris des soubresauts merveilleux d’une amitié avec elle une si passionnante habitude qu’ils ne peuvent renoncer à ces joies, captivantes parce que la comtesse est toujours elle-même, c’est-à-dire ce qu’une autre ne saurait être, attirantes aussi parce qu’il y a en elle toujours l’inconnu de la minute qui va venir, parce qu’elle est, non pas inconstante, mais à tout instant changée.

On comprend qu’elle puisse être bien séduisante avec sa beauté antique, sa majesté romaine, sa grâce florentine, sa politesse française et son esprit parisien. Quant à la Pologne qui fut aussi sa patrie (puisqu’elle a épousé l’homme charmant et bon qu’est le comte Potocki), elle a dit elle-même ce qui lui en reste dans un de ces mots de gavroche qui contrastent avec sa majesté de statue, avec sa voix gazouillante (le plus doux des instruments dont sache jouer cette grande musicienne) et qu’on nous permettra de citer pour finir. Un jour qu’elle avait froid et qu’elle se chauffait, ne répondant pas aux fidèles qui lui disaient bonjour, et qui un peu intimidés de cette absence d’accueil, monologuaient d’une voix pressante et gênée et baisaient respectueusement la main qu’elle leur abandonnait sans avoir l’air de s’en apercevoir (je suis telle, ô mortel, comme un rêve de pierre) elle montra à une personne