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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/84

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CHRONIQUES

Les voyageurs nous l’ont dit — malgré que nul ne l’ait su dire aussi bien que M. de Cholet, avec cette maîtrise dans l’évocation, cette adresse de magicien à faire apparaître devant nous les formes diverses des êtres et des choses. Mais Baudelaire également enivré de la beauté du monde et de sa vanité, avait dit que « ces nobles histoires étaient » sans réalité :

« Les plus riches cités, les plus beaux paysages
Ne contiennent jamais l’attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.
Nous avons vu partout…
Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché.
Amer savoir celui qu’on tire du voyage !
Le monde monotone et petit aujourd’hui
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui. »

(Ibid.)

Mais à une génération sensible surtout à la splendeur inutile des choses, en a succédé une soucieuse avant tout de rendre à la vie son but, sa signification, à l’homme le sentiment qu’il crée en une certaine mesure sa destinée. La réalité morale du voyage lui a été restituée (voir Paul Desjardins, Le Devoir présent). Elle consiste dans l’effort de volonté dont il résulte, dans l’amélioration morale où il aboutit. Nous avons voulu montrer par là que les artistes les plus raffinés et aussi les moralistes les plus élevés peuvent se plaire aux livres de voyages, qu’ils n’ont pas seulement un intérêt scientifique, surtout, si comme celui que nous recommandons au lecteur, ils témoignent de l’intelligence la plus haute et de la plus admirable énergie.