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CHRONIQUES

cheveux gris qui relevés sur le front faisaient penser à la perruque à trois marteaux d’un président à mortier. Et je me souviens que mes parents ont bien souvent dîné avec le neveu de Mme de Boigne, M. d’Osmond, pour qui elle a écrit ces mémoires et dont j’ai trouvé la photographie dans leurs papiers avec beaucoup de lettres qu’il leur avait adressées. De sorte que mes premiers souvenirs de bal tenant d’un fil aux récits un peu plus vagues pour moi, mais encore bien réels, de mes parents, rejoignent par un lien déjà presque immatériel les souvenirs que Mme de Boigne avait gardés et nous conte des premières fêtes auxquelles elle assista : tout cela tissant une trame de frivolités, poétique pourtant, parce qu’elle finit en étoffe de songe, pont léger, jeté du présent jusqu’à un passé déjà lointain et qui unit, pour rendre plus vivante l’histoire, et presque historique la vie, la vie à l’histoire.

Hélas ! me voici arrivé à la troisième colonne de ce journal et je n’ai même pas encore commencé mon article. Il devait s’appeler : « Le Snobisme et la Postérité », je ne vais pas pouvoir lui laisser ce titre, puisque j’ai rempli toute la place qui m’avait été réservée sans vous dire encore un seul mot ni du Snobisme ni de la Postérité, deux personnes que vous pensiez sans doute ne devoir jamais être appelés à rencontrer, pour le plus grand bonheur de la seconde, et au sujet desquelles je comptais vous soumettre quelques réflexions inspirées par la lecture des Mémoires de Mme de Boigne. Ce sera pour la prochaine fois. Et si alors quelqu’un des fantômes qui s’interposent sans cesse entre ma pensée et son objet, comme il arrive dans les rêves, vient encore solliciter mon