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l’aveu

d’une casquette de cuir noir, arrivait, secouant son cul au trot saccadé d’une rosse blanche.

Et Polyte le cocher, un gros garçon réjoui, ventru bien que jeune, et tellement cuit par le soleil, brûlé par le vent, trempé par les averses, et teinté par l’eau-de-vie qu’il avait la face et le cou couleur de brique, criait de loin en faisant claquer son fouet :

— Bonjour mam’zelle Céleste. La santé, ça va-t-il ?

Elle lui tendait, l’un après l’autre, ses paniers qu’il casait sur l’impériale ; puis elle montait en levant haut la jambe pour atteindre le marchepied, en montrant un fort mollet vêtu d’un bas bleu.

Et chaque fois Polyte répétait la même plaisanterie : « Mazette, il n’a pas maigri. »

Et elle riait, trouvant ça drôle.

Puis il lançait un « Hue cocotte ! », qui remettait en route son maigre cheval. Alors Céleste, atteignant son porte-monnaie dans le fond de sa poche, en tirait lentement dix sous, six sous pour elle et quatre pour les paniers, et les passait à Polyte par-dessus l’épaule. Il les prenait en disant :

— C’est pas encore pour aujourd’hui, la rigolade ?

Et il riait de tout son cœur en se retournant vers elle pour la regarder à son aise.

Il lui en coûtait beaucoup, à elle, de donner chaque fois ce demi-franc pour trois kilomètres de route. Et, quand elle n’avait pas de sous, elle en souffrait davantage encore, ne pouvant se décider à allonger une pièce d’argent.

Et un jour, au moment de payer, elle demanda :

— Pour une bonne pratique comme mé, vous devriez bien ne prendre que six sous ?