Aller au contenu

Page:Maupassant - Conte de la bécasse, 1906.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
le testament

bientôt liés. Un soir, comme j’avais dîné chez lui en tête-à-tête, je lui demandai par hasard : « Êtes-vous né du premier ou du second mariage de Mme votre mère ? » Je le vis pâlir un peu, puis rougir ; et il demeura quelques secondes sans parler, visiblement embarrassé. Puis il sourit d’une façon mélancolique et douce qui lui était particulière, et il dit : « Mon cher ami, si cela ne vous ennuie point, je vais vous donner sur mon origine des détails bien singuliers. Je vous sais un homme intelligent, je ne crains donc pas que votre amitié en souffre, et si elle en devait souffrir, je ne tiendrais plus alors à vous avoir pour ami. »

Ma mère, Mme de Courcils, était une pauvre petite femme timide, que son mari avait épousée pour sa fortune. Toute sa vie fut un martyre. D’âme aimante, craintive, délicate, elle fut rudoyée sans répit par celui qui aurait dû être mon père, un de ces rustres qu’on appelle des gentilshommes campagnards. Au bout d’un mois de mariage, il vivait avec une servante. Il eut en outre pour maîtresses les femmes et les filles de ses fermiers ; ce qui ne l’empêcha point d’avoir deux enfants de sa femme ; on devrait compter trois, en