Page:Maupassant - Conte de la bécasse, 1906.djvu/281

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
271
saint-antoine

tu n’veux pas manger, tu vas boire, nom de Dieu ! » Et on alla chercher de l’eau-de-vie au cabaret.

Le soldat roulait des yeux méchants : mais il but néanmoins ; il but tant qu’on voulut ; et Saint-Antoine lui tenait la tête, à la grande joie des assistants.

Le Normand, rouge comme une tomate, le regard en feu, emplissait les verres, trinquait en gueulant : « À la tienne ! » Et le Prussien, sans prononcer un mot, entonnait coup sur coup des lampées de cognac.

C’était une lutte, une bataille, une revanche ! À qui boirait le plus, nom d’un nom ! Ils n’en pouvaient plus ni l’un ni l’autre quand le litre fut séché. Mais aucun des deux n’était vaincu. Ils s’en allaient manche à manche, voilà tout. Faudrait recommencer le lendemain !

Ils sortirent en titubant et se mirent en route, à côté du tombereau de fumier que traînaient lentement les deux chevaux.

La neige commençait à tomber, et la nuit sans lune s’éclairait tristement de cette blancheur morte des plaines. Le froid saisit les deux hommes,