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Page:Maupassant - Conte de la bécasse, 1906.djvu/284

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saint-antoine

clos ; et un filet de sang coulait d’une fente au coin du front. Malgré la nuit, le père Antoine distinguait la tache brune de ce sang sur la neige.

Il restait là, perdant la tête, tandis que son tombereau s’en allait toujours, au pas tranquille des chevaux.

Qu’allait-il faire ? Il serait fusillé ! On brûlerait sa ferme, on ruinerait le pays ! Que faire ? que faire ? Comment cacher le corps, cacher la mort, tromper les Prussiens ? Il entendit des voix au loin, dans le grand silence des neiges. Alors, il s’affola, et, ramassant le casque, il recoiffa sa victime ; puis, l’empoignant par les reins, il l’enleva, courut, rattrapa son attelage et lança le corps sur le fumier. Une fois chez lui, il aviserait.

Il allait à petits pas, se creusant la cervelle, ne trouvant rien. Il se voyait, se sentait perdu. Il rentra dans sa cour. Une lumière brillait à une lucarne, sa servante ne dormait pas encore ; alors il fit vivement reculer sa voiture jusqu’au bord du trou à l’engrais. Il songeait qu’en renversant la charge, le corps posé dessus tomberait dessous dans la fosse ; et il fit basculer le tombereau.