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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/110

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fort comme la mort

leur œuvre dans l’allégresse. Rien n’existait plus pour lui, pendant ces heures de travail, que le morceau de toile où naissait une image sous la caresse de ses pinceaux, et il éprouvait, en ces crises de fécondité, une sensation étrange et bonne de vie abondante qui se grise et se répand. Le soir, il était brisé comme après une saine fatigue, et il se coucha avec la pensée agréable de son déjeuner du lendemain.

La table fut couverte de fleurs, le menu très soigné pour Mme de Guilleroy, gourmande raffinée, et malgré une résistance énergique, mais courte, le peintre força ses convives à boire du champagne.

— La petite sera ivre ! disait la comtesse.

La duchesse indulgente répondait :

— Mon Dieu ! il faut bien l’être une première fois.

Tout le monde, en retournant dans l’atelier, se sentait un peu agité par cette gaité légère qui soulève comme si elle faisait pousser des ailes aux pieds.

La duchesse et la comtesse, ayant une séance au comité des Mères françaises, devaient reconduire la jeune fille avant de se rendre à la Société, mais Bertin offrit de faire un tour à pied avec elle, en la ramenant boulevard Malesherbes ; et ils sortirent tous les deux.

— Prenons par le plus long, dit-elle.

— Veux-tu rôder dans le parc Monceau ? c’est un endroit très gentil : nous regarderons les mioches et les nourrices.

— Mais oui, je veux bien.

Ils franchirent, par l’avenue Vélasquez, la grille dorée et monumentale qui sert d’enseigne et d’entrée à ce bijou de parc élégant, étalant en plein Paris sa grâce factice et verdoyante, au milieu d’une ceinture d’hôtels princiers.