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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/116

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fort comme la mort

de sa vie ancienne que plusieurs fois déjà, moins qu’aujourd’hui cependant, il avait senti et remarqué. Il existait toujours une cause à ces évocations subites, une cause matérielle et simple, une odeur, un parfum souvent. Que de fois une robe de femme lui avait jeté au passage, avec le souffle évaporé d’une essence, tout un rappel d’événements effacés ! Au fond des vieux flacons de toilette, il avait retrouvé souvent aussi des parcelles de son existence ; et toutes les odeurs errantes, celles des rues, des champs, des maisons, des meubles, les douces et les mauvaises, les odeurs chaudes des soirs d’été, les odeurs froides des soirs d’hiver, ranimaient toujours chez lui de lointaines réminiscences, comme si les senteurs gardaient en elles les choses mortes embaumées, à la façon des aromates qui conservent les momies.

Était-ce l’herbe mouillée ou la fleur des marronniers qui ranimait ainsi l’autrefois ? Non. Alors, quoi ? Était-ce à son œil qu’il devait cette alerte ? Qu’avait-il vu ? Rien. Parmi les personnes rencontrées, une d’elles peut-être ressemblait à une figure de jadis, et, sans qu’il l’eût reconnue, secouait en son cœur toutes les cloches du passé.

N’était-ce pas un son, plutôt ? Bien souvent un piano entendu par hasard, une voix inconnue, même un orgue de Barbarie jouant sur une place un air démodé, l’avaient brusquement rajeuni de vingt ans, en lui gonflant la poitrine d’attendrissements oubliés.

Mais cet appel continuait, incessant, insaisissable, presque irritant. Qu’y avait-il autour de lui, près de lui, pour raviver de la sorte ses émotions éteintes ?

— Il fait un peu frais, dit-il, allons-nous-en.