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fort comme la mort

Ils se levèrent et se remirent à marcher.

Il regardait sur les bancs les pauvres assis, ceux pour qui la chaise était une trop forte dépense.

Annette, maintenant, les observait aussi et s’inquiétait de leur existence, de leur profession, s’étonnait qu’ayant l’air si misérables ils vinssent paresser ainsi dans ce beau jardin public.

Et plus encore que tout à l’heure, Olivier remontait les années écoulées. Il lui semblait qu’une mouche ronflait à ses oreilles et les emplissait du bourdonnement confus des jours finis.

La jeune fille, le voyant rêveur, lui demanda :

— Qu’avez-vous ? vous semblez triste.

Et il tressaillit jusqu’au cœur. Qui avait dit cela ? Elle ou sa mère ? Non pas sa mère avec sa voix d’à présent, mais avec sa voix d’autrefois, tant changée qu’il venait seulement de la reconnaître.

Il répondit en souriant :

— Je n’ai rien, tu m’amuses beaucoup, tu es très gentille, tu me rappelles ta maman.

Comment n’avait-il pas remarqué plus vite cet étrange écho de la parole jadis si familière, qui sortait à présent de ces lèvres nouvelles.

— Parle encore, dit-il.

— De quoi ?

— Dis-moi ce que tes institutrices t’ont fait apprendre. Les aimais-tu ?

Elle se remit à bavarder.

Et il écoutait, saisi par un trouble croissant, il épiait, il attendait, au milieu des phrases de cette fillette presque étrangère à son cœur, un mot, un son, un rire, qui semblaient restés dans sa gorge depuis la jeunesse de sa mère. Des intonations, parfois, le faisaient