Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/125

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
111
fort comme la mort

lampes, et la pensée dont il souffrait souvent, dont il avait encore souffert dans le jour, le souci de son hôtel désert, immobile, silencieux, froid, quel que soit le temps, quel que soit le feu des cheminées et du calorifère, le chagrina comme si, pour la première fois, il comprenait bien son isolement.

Oh ! comme il aurait décidément voulu être le mari de cette femme, et non son amant ! Jadis il désirait l’enlever, la prendre à cet homme, la lui voler complètement. Aujourd’hui il le jalousait, ce mari trompé qui était installé près d’elle pour toujours, dans les habitudes de sa maison et dans le câlinement de son contact. En la regardant il se sentait le cœur tout rempli de choses anciennes revenues qu’il aurait voulu lui dire. Vraiment il l’aimait bien encore, même un peu plus, beaucoup plus aujourd’hui qu’il n’avait fait depuis longtemps ; et ce besoin de lui exprimer ce rajeunissement dont elle serait si contente, lui faisait désirer qu’on envoyât coucher la jeune fille, le plus vite possible.

Obsédé par cette envie d’être seul avec elle, de se rapprocher jusqu’à ses genoux où il poserait sa tête, de lui prendre les mains dont s’échapperaient la couverture du pauvre, les aiguilles en bois, et la pelote de laine qui s’en irait sous un fauteuil au bout d’un fil déroulé, il regardait l’heure, ne parlait plus guère et trouvait que vraiment on a tort d’habituer les fillettes à passer la soirée avec les grandes personnes.

Des pas troublèrent le silence du salon voisin, et le domestique, dont la tête apparut, annonça :

M. de Musadieu.

Olivier Bertin eut une petite rage comprimée, et quand il serra la main de l’inspecteur des Beaux-Arts,