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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/143

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fort comme la mort

Et il répondit, avec l’intonation qu’elle voulait et qu’elle n’avait point entendue tout à l’heure :

— Oui, je vous aime, ma chère Any.

— Venez souvent me voir le soir, dit-elle. Maintenant que j’ai ma fille, je ne sortirai pas beaucoup.

Depuis qu’elle sentait en lui ce réveil inattendu de tendresse, un grand bonheur l’agitait. Avec les cheveux tout blancs d’Olivier et l’apaisement des années, elle redoutait moins à présent qu’il fût séduit par une autre femme, mais elle craignait affreusement qu’il se mariât, par horreur de la solitude. Cette peur, ancienne déjà, grandissait sans cesse, faisait naître en son esprit des combinaisons irréalisables afin de l’avoir près d’elle le plus possible et d’éviter qu’il passât de longues soirées dans le froid silence de son hôtel vide. Ne le pouvant toujours attirer et retenir, elle lui suggérait des distractions, l’envoyait au théâtre, le poussait dans le monde, aimait mieux le savoir au milieu des femmes que dans la tristesse de sa maison.

Elle reprit, répondant à sa secrète pensée :

— Ah ! si je pouvais vous garder toujours, comme je vous gâterais ! Promettez-moi de venir très souvent, puisque je ne sortirai plus guère.

— Je vous le promets.

Une voix murmura, près de son oreille :

— Maman.

La comtesse tressaillit, se retourna. Annette, la duchesse et le marquis venaient de les rejoindre.

— Il est quatre heures, dit la duchesse, je suis très fatiguée et j’ai envie de m’en aller.

La comtesse reprit :

— Je m’en vais aussi, je n’en puis plus.

Ils gagnèrent l’escalier intérieur qui part des galeries