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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/154

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fort comme la mort

« Paris, 25 juillet.
« Ma pauvre amie,

« Votre chagrin me fait une peine horrible. Et je ne vois pas non plus la vie en rose. Depuis votre départ je suis perdu, abandonné, sans attache et sans refuge. Tout me fatigue, m’ennuie et m’irrite. Je pense sans cesse à vous et à notre Annette, je vous sens loin toutes les deux quand j’aurais tant besoin que vous fussiez près de moi.

« C’est extraordinaire comme je vous sens loin et comme vous me manquez. Jamais, même aux jours où j’étais jeune, vous ne m’avez été tout, comme en ce moment. J’ai pressenti depuis quelque temps cette crise, qui doit être un coup de soleil de l’été de la Saint-Martin. Ce que j’éprouve est même si bizarre, que je veux vous le raconter. Figurez-vous que, depuis votre absence, je ne peux plus me promener. Autrefois et même pendant les mois derniers, j’aimais beaucoup m’en aller tout seul par les rues en flânant, distrait par les gens et les choses, goûtant la joie de voir et le plaisir de battre le pavé d’un pied joyeux. J’allais devant moi sans savoir où, pour marcher, pour respirer, pour rêvasser. Maintenant je ne peux plus. Dès que je descends dans la rue, une angoisse m’oppresse, une peur d’aveugle qui a lâché son chien. Je deviens inquiet exactement comme un voyageur qui a perdu la trace d’un sentier dans un bois, et il faut que je rentre. Paris me semble vide, affreux, troublant. Je me demande : « Où vais-je aller ? » Je me réponds : « Nulle part, puisque je me promène ». Eh bien, je ne peux pas, je ne peux plus me promener sans but. La